Esport : Le statut du joueur professionnel en France, contrat de travail dans l’esport

Quels sont les moyens de rémunérer un joueur de jeu vidéo en France ? Comment fonctionnent les contrats de joueur professionnel d’esport ? Quelles règles pour le streaming ? Les mineurs peuvent-ils devenir pro dans l’esport ? Breakflip a interrogé Maître Mathieu Bui, avocat au barreau de Paris, pour vous éclairer sur ces sujets souvent méconnus.

Depuis toujours dans l’esport, on entend parler d’histoires de contrats caduques, de contrats malhonnêtes et de joueurs lésés. En mai 2019, dans l’affaire Tfue vs FaZe Clan, le joueur star de Fortnite a attaqué son équipe en justice (et sur les réseaux sociaux) à cause du contrat qui les unissait. Récemment, mitr0 a également eu des problèmes avec Team Atlantis . Plus récemment, en France, Bastille Legacy a connu des déboirs avec l'un de ses anciens joueurs Fortnite. 

Pour nous éclairer sur la situation légale du joueur pro en France, nous avons interrogé un avocat spécialisé dans le numérique.

 


Le statut de joueur pro d’esport existe en France !


Le gouvernement français a mis en place un CDD spécialement prévu pour les joueurs professionnels. Maître Mathieu Bui nous en parle : La loi du 7 octobre 2016 dite « Loi pour une République Numérique » prévoit, en son article 102, un contrat de travail spécifique pour le joueur esport. 

On retrouve la vision traditionnelle du travail qui prévaut en France, à savoir une forte protection de l'individu à travers le contrat de travail considéré comme facteur de socialisation et d'émancipation.

 
L'activité de joueur esport est donc, a priori, une activité soumise au droit du travail par opposition aux règles de la prestation de service. 


Plus précisément, ce contrat de travail concerne « toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d'un agrément. » 


Ce champ d'application appelle deux remarques : 

  • D'abord, il convient de noter qu'il ne vise que l'aspect compétitif des jeux vidéo ;
  • Ensuite, qu'il ne peut être conclu qu'avec des structures disposant d'un agrément

S'agissant des caractéristiques, il faut préciser que la durée de ce contrat est limitativement définie et qu'il doit contenir un certain nombre de mentions obligatoires telles que la rémunération du joueur et ses composantes. 


En cas de non-respect de ces règles, une peine d'amende pouvant s'élever à 3 750 euros est encourue ainsi que la requalification du contrat en contrat de travail à durée indéterminée (CDI). 

La situation sans ce CDD

Le rapport parlementaire préalable à l'adoption de la loi « République Numérique » avait constaté que la plupart des structures rémunéraient les joueurs dans le cadre d'un statut de travailleur indépendant ou par l'intermédiaire d'une société créée par le joueur (souvent au régime de l’auto-entrepreneur, aussi appelé micro-entrepreneur, NDLR).  

Cette pratique antérieure présentait un certain nombre d'inconvénients. Les joueurs ne disposaient pas de la sécurité d'un emploi et d'un bon niveau de protection sociale. Cela pouvait aussi engendrer des difficultés pour se voir reconnaître un statut (logement, emprunt bancaire, etc.). 


Les équipes, quant à elles, devaient faire face à des difficultés en matière de transferts où l'anarchie régnait et quant à la mise en Å“uvre d'un véritable pouvoir de direction (et de sanction) envers les joueurs pour, par exemple, organiser des entraînements.

 


Le nouveau contrat remplit-il sa mission ?


 
Après l'adoption de la loi « République Numérique », les structures ont globalement considéré que ce régime était flou et pas forcément optimal en termes de compétitivité internationale, du fait du niveau des cotisations sociales en France. 


En outre, une partie des critiques faisant état d'un décalage avec la réalité du marché, puisque certains jeux n'ont pas encore une économie suffisamment mature pour permettre l'embauche d'un joueur dans le cadre d'un contrat de travail. 


Par ailleurs, il y avait une crainte que la procédure d'agrément s'avère lourde et que la durée des contrats calée sur la notion de saison soit un mécanisme trop rigide qui ne fonctionnerait que pour les jeux majeurs avec une scène compétitive déjà structurée. 


Soulignons, néanmoins, que l'idée de ce régime est de protéger les joueurs à travers un contrat de travail. On peut, également, noter qu'il y a une volonté de contrôler les structures via le mécanisme d'agrément. 


Enfin, le fait d'inscrire la relation entre le joueur et une structure dans le cadre d'un contrat de travail entrainera moins de démarches à effectuer pour le joueur, qui n'aura pas à accomplir les déclarations comptables et fiscales qui lui incomberaient s'il intervenait en tant que travailleur indépendant. 

 


Et au-delà des joueurs pros ?

Le dispositif de l'article 102 de la loi Â« République Numérique » vise exclusivement le cadre des compétitions (participation et entraînement) or l'écosystème du gaming en France est aujourd'hui beaucoup plus divers et protéiforme. 


On passe en réalité du joueur professionnel de jeux vidéo (l’esportif) au joueur de jeux vidéo à titre professionnel (ambassadeur/influenceur/animateur...). 


Ainsi, un joueur va s'associer avec une structure pour convenir d'activités promotionnelles et marketing, le cas échéant, avec les sponsors de la structure, ou encore prévoir la création de contenu (type live stream, vidéos best-of, tutos, role play, etc…) et convenir d'un partage de la rémunération. 


Si les relations entre le joueur et la structure ne porte pas sur la participation à des compétitions, alors le recours au contrat de travail de l'article 102 de la loi République Numérique n'est pas possible. Un contrat de travail traditionnel peut s'envisager mais la plupart préféreront avoir recours au statut d'auto-entrepreneur ou créeront une société commerciale permettant de facturer des prestations à la structure esport. 


A ce titre, il faudra être très précis dans la définition des obligations des parties, au risque de voir des tensions naître s'agissant du partage des revenus, sachant que, schématiquement, la structure devra s'attacher à mettre en avant et apporter de la visibilité au joueur alors que le joueur sera tenu d'accomplir des prestations données.


Dans ces conditions, la notion d'exclusivité, la définition de partenariat(s) potentiel(s) avec des marques, le partage des revenus publicitaires et des abonnements/dons par le public sont ici cruciales et devront être méticuleusement négociées entre les deux parties. 


A notre sens, il y a un autre point de vigilance qui apparaît particulièrement crucial et qui porte sur l'exploitation de l'image d'une personne au profit d'une marque (endorsment, opérations marketing, etc.). 


En principe, en droit français, le nom et l'image sont des droits rattachés à la personne et ne peuvent être cédés à une société que sous certaines conditions. 


Par ailleurs, la réglementation applicable au mannequinat prévoit que toute personne « chargée de présenter au public, directement ou indirectement, par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire », exerce l'activité de mannequin. 


Or, dans le code du travail, l'activité de mannequin est présumée être accomplie dans le cadre d'un contrat de travail ce qui signifie que la rémunération versée à ce titre est qualifiée de salaire et donc soumise à cotisations sociales. 


Il ne s'agit absolument pas d'une problématique nouvelle ni propre à l’esport puisqu'il y avait eu une affaire célèbre concernant Johnny Hallyday et les cafés Legal et qui avait donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation en 2013. 

Quid du joueur mineur ?


En principe, en droit commun du droit du travail, tout mineur non émancipé doit disposer d'une autorisation parentale pour pouvoir travailler entre 16 et 18 ans. Il y a en plus des limitations quant au type de travail qu'un mineur peut effectuer.  


S'agissant de la création de société, depuis 2010 un mineur entre 16 et 18 ans peut créer une EIRL ou une société unipersonnelle avec l'autorisation de ses parents et ainsi exercer une activité libérale. 
Ce sont, néanmoins, des conditions très restrictives. 


S'agissant du joueur professionnel de jeu vidéo qui aurait moins de 16 ans, la loi « République Numérique » a laissé la possibilité aux structures d'embaucher des mineurs de moins de 16 ans en s'alignant sur la réglementation dite des enfants du spectacle. Cela signifie qu'il y a, entre autre, une autorisation administrative à obtenir et une consignation de la rémunération du mineur auprès de la Caisse des Dépôts sera effectuée jusqu'à sa majorité. 

 


Un conseil pour se lancer ?


S'il n'y avait qu'un seul conseil à donner ça serait : vigilance


A ce jour, l’esport/le gaming reste une activité à multiples facettes et donc juridiquement en prise avec de nombreuses règles (mannequinat, jeux-vidéo, fiscalité, etc). 


Les situations sont complexes et variées et dès que les sommes commencent à devenir conséquentes, il est recommandé de prendre contact avec un conseiller fiscal, un comptable et/ou un avocat afin de ne pas faire d'erreur !


 
Qui est Maître Mathieu Bui ?


Maître Mathieu Bui est avocat au barreau de Paris depuis 2014 après avoir démarré comme juriste-business affairs dans l'industrie du disque. Sa pratique se concentre sur les problématiques relatives au numérique et à l'innovation et il est membre de l'Incubateur du barreau de Paris. 
 
Son site mtbavocat.com
Son compte LinkedIN 

 

Merci à Maître Mathieu Bui pour ses éclaircissements.