Test de Keeper : Double Fine revient avec un jeu aussi intriguant que réussit
Double Fine Productions s’est forgé une réputation unique depuis Grim Fandango (1998) : celle d’un studio capable d’allier narration sensible, univers singuliers et mécaniques de gameplay atypiques. Leur marque de fabrique ? Transformer l’étrange en émotion, le bizarre en poésie. Avec Keeper, les développeurs poursuivent cette tradition d’expérimentation créative en nous plaçant dans la peau… d’un phare conscient. Une proposition aussi déconcertante que fascinante, qui rappelle à quel point Double Fine aime repousser les limites du storytelling vidéoludique.
L'environnement de Keeper : une poésie sensorielle
Dans Keeper, nous incarnons un phare abandonné qui s’éveille après un long sommeil.
Notre compagnon de route : Brindille, un oiseau mystique séparé de sa volée par un étrange essaim noir. Ensemble, nous partons explorer une île mystérieuse, rongée par le Déclin, une forme de vie corrompue faite de lianes sombres et menaçantes.
Chaque scène est une toile vivante, où lumière et obscurité, vie et mort s’entrelacent.
Qu’on serpente le long de côtes escarpées, qu’on chute dans les entrailles d’une caverne sinistre ou que l’on plonge dans une mer de coton rose, l’histoire s’écrit à travers des environnements oniriques portés par une direction artistique stylisée, qui emprunte beaucoup à l’univers de Moebius.
Cet univers est à la fois majestueux et frissonnant. Ce qui fascine le plus, ce sont les créatures étranges qui le peuplent : oiseaux tubulaires, baleines volantes aux pattes de crabe, rochers animés, plantes chantantes… Chaque biome regorge de formes de vie inattendues.
Un gameplay unique à la croisée entre réflexion et immersion
L'un des points forts du jeu reste également son gameplay unique : certaines énigmes ne se révèlent que sous la lumière du phare, qui nous permet alors de faire évoluer le décors lui-même.
Brindille, quant à elle, n’est pas qu’un simple compagnon : elle est la clé de la progression. Elle peut retourner à l'état d'œuf, prendre une forme spectrale, qui permettent de débloquer des accès inatteignables. Une véritable symbiose s’installe entre les deux protagonistes, qui évoluent ensemble au rythme de leur métamorphoses.
Cependant, cette originalité de gameplay peut aussi dérouter. Le tutoriel, intégré à la narration, est une brillante idée en termes de cohérence, mais pourrait décourager les joueurs novices. Cela dit, une fois les mécaniques assimilées, la progression devient fluide et extrêmement gratifiante lors d'une seconde run, indispensable pour trouver tous les trophées et comprendre le lore qu'ils contiennent.
Un level design intelligent imprégné d'un lore qui se laisse désirer
Le level design, pensé pour se fondre dans le décor plutôt que guider explicitement, peut parfois désorienter. Sans indicateurs particuliers, certaines énigmes se devinent davantage qu’elles ne se résolvent. Une énigme en particulier, celle de la Galerie des Anciens, époustouflante visuellement, qui demande quelques essais avant d’en saisir la logique.
Les zones de jeu sont à la fois nombreuses et variées. Certaines adoptent une structure très classique, se parcourant de manière linéaire d’un côté à l’autre de l’écran. D’autres, plus élaborées, reposent sur des mécaniques comme l’alternance jour/nuit. Certains obstacles nécessitent la destruction d’éléments du décor, l’activation de mécanismes ou le déverrouillage de portes. Certains lieux évoluent même entre passé et présent, lumière et obscurité, non pas comme de simples artifices, mais comme de véritables composantes du lore, mises en valeur par une caméra souvent bien positionnée et des animations d’une grande fluidité.
Le lore, justement, se révèle par petites bribes. Plus on avance, plus on comprend la chute de cette civilisation, l’origine de la corruption qui ronge l’île et les secrets enfouis de ses habitants.
Une noirceur révélatrice et un récit introspectif
En parlant des secrets du lore, Keeper possède des scènes à l'aspect beaucoup plus sombre. Et très vite, on comprend que le Déclin n’est pas juste un antagoniste : il symbolise des peurs profondes, la fuite, le repli sur soi, peut-être même une forme de dépression insidieuse.
Keeper n’est pas seulement l’histoire d’un phare et d’un oiseau. C’est l’exploration d’un monde intérieur. Il y a autant de grottes sinueuses autour de nous que de recoins sombres dans l’esprit d’un être humain.
Au fil de notre progression, l’obscurité laisse place à la lumière. Le phare chute, se brise, mais se relève toujours, grâce à Brindille, qui n’est plus seulement un compagnon, mais une guide. Une étincelle d’espoir.
De l’œil vacillant du phare aux flammes d’une créature métamorphe flamboyante, Keeper raconte un parcours initiatique bouleversant, qui se démarque des puzzle games traditionnels.
Ma note :
J’ai adoré vivre cette aventure à travers l’œil d’un phare, accompagné de Brindille, touchante et frissonnante.
Le Déclin, l'antagoniste fascinant du jeu, et la dimension introspective du récit m’ont profondément marqué.
Le gameplay, fluide et évolutif, rend les énigmes accessibles même aux moins aguerris, faisant de Keeper un renouveau solide du puzzle game, plus accès sur son aspect narratif et immersif.
Seul bémol : sa durée de vie. Comptez environ 5 heures pour terminer la trame principale. Mais la rejouabilité, nourrie par les chapitres nombreux et entièrement rejouables, compense largement. Prévoir environ 5h de plus, au moins une deuxième run pour découvrir tous les trophées et les éléments qui composent le lore riche de Keeper.
Une œuvre poétique, sensorielle, et hautement émotionnelle, à recommander autant aux amateurs de puzzles games et énigmes en tout genre qu’aux amoureux d'univers contemplatifs et de DA stylisée.

